3 décisions de la Cour de cassation sur l’indemnisation « automatique » d’un préjudice nécessaire.
En principe, quel que soit le manquement de l’employeur, le salarié ne peut obtenir une indemnisation que s’il démontre la réalité de son préjudice.
Mais il existe quelques rare exceptions en cas de disposition légale, ou d’interprétation du droit interne à la lumière d’une directive européenne, lorsque celle-ci est suffisamment claire pour être considérée comme d’effet direct.
Par trois arrêts rendus le 4 septembre 2024 la chambre sociale de la Cour de cassation s’est justement prononcée sur les cas dans lesquels un salarié peut obtenir des dommages et intérêts sans avoir à démontrer l’existence d’un tel préjudice, soit sur le préjudice dit « nécessaire », consubstantiel au manquement.
Dans ces affaires, les salariés reprochaient à leur employeur les manquements suivants :
- travail exécuté pendant le congé maternité et la maladie en violation de la suspension du contrat de travail ;
- non-respect des temps de pauses quotidien ;
- absence d’organisation d’une visite de reprise et de suivi médical.
Ils ont été déboutés de leur demande de dommages et intérêts par les premiers juges.
La Cour de cassation considère que dans les deux premiers cas, le simple non-respect de ces règles ouvre droit à réparation.
La décision trouve sa source dans le droit européen.
Comme l’expose avocate générale aux termes de son avis, dès lors qu’une disposition européenne ou internationale applicable en droit interne exige une sanction voire une indemnisation en cas de manquement à une obligation, il incombe au juge nationaux d’en assurer l’effectivité.
Le manquement au respect des temps de pause constitue une violation du droit fondamental au repos et à la sécurité et son respect est également exigé par l’article 4 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 sur le temps de travail.
Par ailleurs, elle souligne qu’en droit interne, la violation des durées maximales de travail constitue également un préjudice « nécessaire » indemnisable par principe et estime que le temps de pause s’intègre nécessairement le calcul de la durée quotidienne maximale de travail, son non-respect pouvant créer un dépassement de celle-ci.
Concernant le travail pendant le congé maternité, l’avocate générale se réfère à la directive 89/391/CEE du 12 juin 1989 (art 8) et à la jurisprudence de la CJUE, selon laquelle le droit à un congé de maternité reconnu aux travailleuses enceintes doit être considéré comme un moyen de protection de droit social revêtant une importance particulière.
Elle en conclut que « faire travailler la salariée pendant le congé de maternité est une remise en cause frontale et directe de l’objectif poursuivi par la directive, de protection de la santé de la femme enceinte et de préservation de ses liens avec son enfant ».
Et ce non-respect ne saurait être valablement compensé par le paiement des heures, faute de remplir l’objectif de protection poursuivi.
Elle adopte le même raisonnement s’agissant d’un travail effectué pendant l’arrêt maladie, puisque là encore la directive 89/391/CEE du 12 juin 1989 (art 5 et 6) exige que l’employeur assure la sécurité et la santé des travailleurs de manière effective.
En revanche, concernant l’absence de visite de reprise ou de suivi médical, cette analyse n’est pas retenue.
La Cour a refusé de retenir un effet direct horizontal à l’article 14 de la directive précitée du 12 juin 1989 qui énonce que les États membres doivent prendre des mesures conformément aux législations et aux pratiques nationales pour assurer la santé des travailleurs, renvoie à l’adoption de mesures nationales, au choix des États membres.
Dans ces conditions elle ne confère « pas au salarié de droits subjectifs, clairs, précis et inconditionnels en matière de suivi médical », lui permettant de ne pas avoir à démontrer son préjudice.
(Cass. soc. 4 septembre 2024 n° 23-15.944, n° 22-16.129 et18 septembre 2024 n°23-10.080.)