Harcèlement moral : il n’est plus nécessaire de le nommer

Revirement de jurisprudence plus protecteur pour le salarié :  jusqu’à présent, pour bénéficier de la protection légale s’appliquant aux salariés ayant dénoncé des faits de harcèlement moral, il fallait impérativement utiliser ces deux termes dans sa dénonciation.

Aux termes d’une décision du 19 avril 2023, la Cour de cassation considère dorénavant qu’il importe peu que le salarié n’ait pas explicitement qualifié de harcèlement moral ce qu’il reproche à son employeur.

En l’espèce, le salarié avait été licencié car il avait adressé à des membres du conseil d’administration une lettre dénonçant le comportement de son directeur, « en l’illustrant de plusieurs précisions », tout en faisait état d’une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé.

Les juges du fond ont considéré qu’il dénonçait des faits correspondant à un harcèlement moral et ont déclaré le licenciement nul. L’employeur a inscrit un pourvoi sur l’arrêt.

La Cour de cassation a validé le raisonnement des juges du fond, estimant  que l’employeur « ne pouvait légitimement ignorer que par cette lettre, la salariée avait dénoncé des faits de harcèlement moral ».

Rappel : lorsqu’un salarié dénonce des faits susceptibles de recevoir une telle qualification, il ne faut pas hésiter, il faut ouvrir une enquête. L’inaction de l’employeur est sévèrement sanctionnée.

(Cass. soc., 19 avril 2023 n°21-21.563

Moyens de preuve : un témoignage anonymisé recevable

Dans cette affaire, pour justifier la sanction,  l’employeur produisait une attestation anonymisée d’un autre salarié, outre le compte-rendu, également anonymisé, de l’entretien de ce dernier avec un membre de la DRH.

La Cour d’appel a écarté ces pièces auxquelles elle a dénué toute valeur probante.

A tort, selon la Cour de cassation : le juge peut « prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments. ».

Elle reproche donc aux juges du fond d’avoir refusé toute valeur à ces pièces, tout en ayant constaté qu’elles n’étaient pas « les seules produites pour caractériser la faute du salarié (…) et qu’il lui appartenait d’en apprécier la valeur et la portée (…)».

(Cass. soc., 19 avril 2023 n°21-20.308)

Heures supplémentaires :  le salarié n’a plus rien à prouver

La relecture partisane par la Cour de cassation de l’article 3171-4 du Code du travail se poursuit.

Après avoir considéré que le salarié pouvait se contenter d’un décompte horaire rétroactif non étayé, voire d’un simple décompte du nombre global d’heures supplémentaires par semaine sans autre précision, elle franchit un pas supplémentaire dans une décision du 13 avril 2023.

En l’espèce, le salarié avait été débouté car il ne produisait aucun décompte horaire, n’apportait aucune précision sur son amplitude journalière ou hebdomadaire et se contentait de 2 attestations de proches, indiquant qu’il faisait part d’une charge de travail importante et qu’il pouvait recevoir des appels téléphoniques lors des repas.

La Cour de cassation a censuré la Cour d’appel qui avait débouté le salarié, estimant qu’elle avait fait peser sur le seul salarié la charge de la preuve.

Or de simples allégations et deux attestations indirectes (par « ouï-dire ») ne sauraient en aucun cas constituer des « éléments » à l’appui d’une demande, tel que l’exige la lettre de l’article 3171-4 précité.

On notera l’absence de toute analyse juridique et de toute justification à cette lecture aussi extensive du texte, la volonté idéologique prenant le pas sur le raisonnement juridique.

Le salarié n’a (presque) plus rien à prouver.

(Cass. soc. 13 avril 2023 n°21-23920)  

 

 

Aux termes d’une décision du 8 mars 2023 (n°21-17.802), la Cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel ayant déclaré inopposables à la salariée plusieurs pièces de l’employeur pour démontrer les griefs à l’appui du licenciement.

Il s’agissait d’extraits de vidéosurveillances et d’un constat d’huissier de ces images, sachant que l’employeur n’avait pas déclaré ce dispositif, ni n’avait informé la salariée de son existence ainsi que de sa finalité, en violation de l’article 32 de la loi du 6 janvier 1978.

Constatant que la société ne communiquait pas l’audit effectué aux mois de juin et juillet 2013 qui permettait de relever de nombreuses irrégularités portant sur les encaissements et enregistrement d’espèces de prestations effectuées par la salariée, la Cour a estimé que la vidéosurveillance ne présentait pas un caractère « indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur».

L’employeur disposait, en effet, d’un autre moyen de preuve, en l’occurrence l’audit précité, qu’il n’avait pas produit, de sorte que le moyen illicite utilisé, en l’occurrence la vidéosurveillance, ne présentait pas ce caractère « indispensable ».

Il est donc naturellement écarté.

La Haute Cour confirme l’assouplissement de sa position, formulé aux termes de son arrêt du 25 novembre 2020 (17-19.523) :

« Il y a donc lieu de juger désormais que l’illicéité d’un moyen de preuve (….) n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. ».

Ce n’est que si ces deux conditions cumulatives sont réunies que la recevabilité d’une preuve illicite est admise.

Il faudra scruter à l’avenir les décisions de la Cour sur ce point, car dans des décisions ultérieures à celle de 2020 précitée, la Cour a rejeté ex abrupto des moyens de preuve en raison de leur seule illicéité, sans s’interroger si l’employeur disposait d’un autre moyen pour étayer ses griefs (cf. notamment l’arrêt 10 novembre 2021 n°20-12.263).

Le 1er février 2023, la Cour de cassation a rendu un arrêt (n° 21-20.526) aux termes duquel elle confirme la décision d’appel ayant jugé dénuée de cause la révocation d’un salarié de la RATP qui durant un long arrêt maladie, à la suite d’une agression, avait participé à 14 compétitions de badminton !

La motivation est la suivante :

« L’exercice d’une activité, pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie, ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt. Dans un tel cas, pour fonder un licenciement, l’acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer préjudice à l’employeur ou à l’entreprise.

Ce préjudice ne saurait résulter du seul maintien intégral du salaire, en conséquence de l’arrêt de travail, assumé par l’employeur qui assure lui-même le risque maladie de ses salariés. ».

Personne n’ignore le caractère exigeant d’un sport tel que le badminton, qui pour être pratiqué à haut niveau nécessite une excellente condition physique.

Or, dans le cas présent, l’opérateur de contrôle de la RATP avait cumulé plus de 180 jours d’arrêt maladie pour des blessures aux bras, mais avait pu participer à nombre de compétitions sportives de haut niveau…

Cette jurisprudence trouve sa source dans la protection de la vie personnelle du salarié, y compris sur le lieu de travail, telle qu’entendue très largement par la CEDH, notamment au terme de son arrêt Niemetz du 16 décembre 1992 (n°13710/88) dans lequel elle considère que cette vie personnelle doit être entendue largement et inclus les activités professionnelles ou commerciales.

S’il est normal que l’obligation de loyauté protège les salariés contre l’arbitraire de l’employeur (notamment pour préserver les droits fondamentaux du salarié), il est légitime de s’interroger sur une conception aussi extensive, très éloignée de son fondement de bonne foi, et qui n’a pas « la même intensité » selon qu’elle s’applique à l’un ou à l’autre des contractants (Ph. Waquet, « Vie privée, vie professionnelle et vie personnelle », Dr. soc. 2010, p. 14.).

Comme le souligne dans sa thèse notre Consœur Madame Léa Amic, ( « La loyauté dans les relations de travail », sous la direction de Monsieur le Professeur Frank Petit, 19 décembre 2014) la loyauté est réduite « à l’effet objectif des conséquences d’un éventuel manquement » et octroie une certaine « immunité au travailleur pour les faits relevant de sa vie privée ».

Que penser d’un salarié qui se livre à des activités ou des déplacements qui montrent clairement qu’il est dans un état de santé lui permettant de travailler, de sorte que l’arrêt maladie paraît totalement injustifié ?

Dans sa recherche de l’équilibre entre protection des libertés et droits fondamentaux, devoir de loyauté et obligations professionnelles, le juge a perdu de vue la notion de bonne foi, inhérente à toute relation contractuelle et énoncée à l’article L. 1222-1 du Code du travail.

Cette décision est révélatrice de son obsession de voir le salarié comme la partie faible, du fait du lien de subordination, ce qui la conduit à concevoir une bonne foi à géométrie variable, entendue de manière bien plus stricte pour l’employeur.

Assurance chômage : le décret relatif aux nouvelles règles est paru

Le dispositif de modulation des allocations chômage a fait l’objet d’un décret n°2023-33 du 26 janvier, particulièrement complexe à lire du fait de son système de renvois.

Il s’applique aux fins de contrat à compter du 1er février 2023 :  le texte précise, à ce titre, que ses dispositions  « sont applicables aux travailleurs privés d’emploi dont la fin de contrat de travail est intervenue à compter du 1er février 2023, à l’exception de ceux dont la date d’engagement de la procédure de licenciement est antérieure à cette date. « .

Par date d’engagement, il faut entendre :

  • la date de l’entretien préalable au licenciement ;
  • la date de présentation de la lettre de convocation à la première réunion du comité social et économique pour les procédures de licenciements économiques collectifs.

En pratique, la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi ouvrant des droits à l’assurance chômage sera réduite de 25% :

  • si le taux de chômage est inférieur à 9%,
  • si le taux de chômage n’a pas progressé de plus de 0,8 point sur un trimestre.

En cas de dégradation du marché du travail (taux de chômage supérieur ou égal à 9% ou augmentant de minimum 0,8 point ou plus sur un trimestre), un complément de fin de droit sera versé.

Il est précisé que la durée d’indemnisation ne peut être inférieure à 182 jours calendaires, ni supérieure à 730 jours calendaires.

La durée d’indemnisation peut être allongée via un complément de fin de formation dans le cadre duquel le demandeur d’emploi devra suivre « une formation qualifiante inscrite au projet personnalisé d’accès à l’emploi » d’une durée de 6 mois minimum.

Ce complément permet d’allonger la durée d’indemnisation jusqu’au terme de la formation, mais elle ne pourra pas dépasser la durée totale calculée avant l’application du coefficient réducteur.

A titre d’exception des durées plus longues sont prévues pour les salariés âgés de plus de 53 ans :

  • pour ceux âgés entre 53 ans et moins de 55 ans, la durée maximale est de 913 jours calendaires ;
  • pour ceux âgés de 55 ans et plus, cette limite est portée à 1 095 jours calendaires.

En outre, le taux de l’aide à la reprise ou à la création d’entreprise est porté 60%  au 1er juillet 2023.

Le gouvernement a publié des explications ainsi que des exemples sur le site du ministère du travail.

Les victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle sont indemnisées de manière forfaitaire, par le paiement d’une rente versée par la caisse de sécurité sociale.

La rente qui est majorée en cas de faute inexcusable de l’employeur (lorsque le salarié a été soumis à un danger qui ne pouvait être ignoré par l’employeur).

Cette réparation forfaitaire, prise en charge par la collectivité, exclut en principe que la victime puisse se retourner directement contre l’employeur, sauf en cas de faute inexcusable.

Dans cette hypothèse, quelques préjudices non couverts par la rente peuvent faire l’objet d’une demande du salarié, tels que le préjudice d’agrément, les souffrances physiques ou morales (à condition de démontrer un préjudice distinct du déficit fonctionnel permanent), ou encore le préjudice sexuel.

Mais, jusqu’à présent, la jurisprudence considérait que l’essentiel des préjudices de la victime étaient indemnisés par la rente, notamment le préjudice professionnel (pertes de gains professionnels) ainsi que le fameux « déficit fonctionnel permanent », soit le handicap subi par la victime au quotidien, après consolidation.

Aux termes de deux arrêts du 23 janvier 2023, la Cour a drastiquement modifié son analyse de ce déficit fonctionnel et ouvert la voie à une indemnisation complémentaire plus importante (Cass., Ass. plén. 20 janvier 2023, n° 21-23.947 et 20-23.673).

Dans ces 2 espèces, il s’agissait de salariés victimes de l’amiante, décédés d’un cancer du poumon.

S’alignant sur la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE 8 janvier 2013 R. Lebon 361273) qui estime que la rente ne couvre que les préjudices professionnels (perte de gains professionnels, incidence de l’incapacité sur l’évolution professionnelle future), la Haute juridiction a décidé que cette rente n’indemnisait pas le déficit fonctionnel permanent, c’est-à-dire les souffrances éprouvées par la victime dans le déroulement de sa vie quotidienne.

En conséquence :

  • la réparation de ces préjudices peut désormais être obtenue sans que les victimes n’aient à prouver un préjudice distinct de ceux réparés par le paiement de la rente ;
  • cette jurisprudence va permettre aux victimes d’être mieux indemnisées et de facto entraine des conséquences financières importantes pour les employeurs ;
  • il est donc essentiel d’agir sur la prévention, de repenser les conditions de travail pour réduire le risque d’accident du travail et de maladie professionnelle et plus encore de condamnation pour faute inexcusable ;
  • en cas de survenance d’un accident, il est essentiel d’en analyser les circonstances de fait et si la situation le justifie, d’émettre dès la déclaration des réserves objectives et précises, afin d’obvier le risque d’une condamnation pour faute inexcusable.

Un salarié steward au sein de la compagnie Air France se présente, lors de sa prise de poste, coiffé de tresses africaines nouées en chignon.

L’embarquement lui est refusé au motif que sa coiffure n’est pas autorisée par le « Manuel des règles de port de l’uniforme pour le personnel navigant commercial masculin » qui prévoit: «Les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur de la chemise. ». 

Pendant plusieurs années le salarié porte une perruque pour exécuter ses missions. Il considère être victime d’une discrimination et saisit en 2012 la juridiction prud’homale afin d’être indemnisé.

Les juges du fond le déboutent, soulignant que le manuel précité « n’instaure aucune différence entre les cheveux lisses, bouclés ou crépus et donc aucune différence entre l’origine des salariés. » Seule sa coiffure était reprochée au salarié « ce qui est sans rapport avec la nature de ses cheveux ».

Ils se réfèrent, en outre, aux « codes en usage » soit « la différence d’apparence admise à une période donnée entre hommes et femmes », ainsi qu’à « la volonté de la compagnie de sauvegarder son image (…) cause valable de limitation de la libre apparence des salariés. ».

Le salarié intente alors un pourvoi et, aux termes d’une décision du 23 novembre 2022 publiée au bulletin, qui a fait l’objet d’un communiqué de presse, la Cour de cassation casse la décision des juges d’appels.

En l’espèce, les hauts magistrats reprochent aux juges d’appel de s’être fondés sur la nécessité de permettre l’identification du personnel de la société et de préserver l’image de celle-ci, puisque seul l’uniforme permet cette identification.

En outre, ils rejettent le critère tiré de la perception sociale de l’apparence physique des genres masculins et féminins.

 Ils rappellent que si une différence de traitement « peut être justifiée par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle véritable et déterminante et être proportionnée au but recherché. », cette notion d’exigence doit être « objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle (…) ».

Selon la Cour, l’interdiction faite aux salariés de porter une coiffure autorisée pour le personnel féminin caractérise une discrimination directement fondée sur l’apparence physique, en lien avec le sexe.

Et surtout, elle estime qu’il n’est pas possible de refuser à un homme ce qui est autorisé à une femme car  « la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin, laquelle ne peut constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement  ».

In fine, sur le lieu de travail, chacun est libre de se donner l’apparence qui lui convient, quitte à bousculer les codes sociaux classiques relatifs au genre.

 

 

 

La Cour de cassation s’aligne sur la CJUE et accepte de tenir compte les contraintes auxquelles les salariés sont réellement soumis pour déterminer si le temps de trajet des travailleurs itinérants constitue ou non un temps de travail effectif (Ass. Plen., 23 novembre 2022 n°20-21.924 et note explicative).

Dans cette affaire, un salarié technico-commercial itinérant devait intervenir sur 7 départements du «Grand Ouest» éloignés de son domicile et était parfois contraint à ne pas pouvoir rentrer chez lui le soir.

Il réclamait des rappels d’heures supplémentaires, outre l’indemnité pour travail dissimulé, le tout au titre des déplacements qu’il effectuait pour se rendre sur les lieux d’exécution de son contrat de travail et les premiers juges font droit à sa demande.

L’employeur intente un pourvoi qui est rejeté.

Avec cet arrêt, la Cour se met au diapason de la jurisprudence de la CJUE interprétant la directive européenne du 4 novembre 2003 (CJUE 10 sept. 2015 aff C-266/14, 9 mars 2021 aff C-344/19 et C-580/19).

Elle souligne que les notion de temps de travail et de repos sont «des notions de droit de l’Union qu’il convient de définir selon des caractéristiques objectives », selon une interprétation « autonome », en raison de la nécessité de permettre à la directive d’avoir un effet utile. les Etats membres ne peuvent venir y apporter des restrictions.

L’assemblée plénière considère qu’il « y a donc lieu de juger désormais que, lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif (…), ils ne relèvent pas du champ d’application de l’article L.3121-4 du Code ».

Si tel est le cas, c’est-à-dire si pendant ce temps de trajet, le salarié itinérant doit se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles, ce temps de trajet devra être considéré comme du temps de travail effectif.

Dans le cas contraire, le salarié itinérant ne pourra prétendre qu’à la contrepartie financière ou sous forme de repos prévue par l’article L.3121-4 précité, lorsqu’il dépasse le temps « normal » de trajet entre son domicile et son lieu habituel de travail.

En l’espèce, la Haute Cour a confirmé la décision d’appel car, en l’espèce, le salarié devait « en conduisant, pendant ses déplacements, grâce à son téléphone portable professionnel et son kit main libre intégré dans le véhicule mis à sa disposition par la société, être en mesure de fixer des rendez-vous, d’appeler et de répondre à ses divers interlocuteurs », de sorte qu’il « devait se tenir à la disposition de son employeur ». 

Il s’agit finalement d’en revenir à la définition du temps de travail effectif, telle que prévue par l’article L.3121-1 du Code du travail : « La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».

Aux termes du code du travail, en droit français il convient de distinguer « période d’astreinte » et « intervention en astreinte » (art L. 3121-9).

La période d’astreinte n’est pas considérée comme du temps de travail effectif et ne donne lieu qu’à indemnisation.  Seule l’intervention proprement dite est considérée comme telle et comptabilisée dans le décompte de la durée du travail.

Cette règle était appliquée avec constance par les juridictions du fond, parfois en s’appuyant sur les stipulations des accords collectifs applicables.

Or, une telle distinction n’est pas conforme à la Directive 2003/88. En effet, la CJUE a exposé aux termes d’un arrêt du 9 mars 2021 (Aff C-344/19)  sur question préjudicielle que « Les différentes prescriptions qu’énonce la directive 2003/88 en matière de durée maximale de travail et de temps minimal de repos constituent des règles du droit social de l’Union revêtant une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur ».

Elles « ne sauraient faire l’objet d’une interprétation restrictive au détriment des droits que le travailleur tire de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2019, CCOO, C‑55/18, EU:C:2019:402, points 30 à 32 et jurisprudence citée).

Et elles « constituent des notions de droit de l’Union qu’il convient de définir selon des caractéristiques objectives, en se référant au système et à la finalité de la directive 2003/88. En effet, seule une telle interprétation autonome est de nature à assurer à cette directive sa pleine efficacité ».

Selon la CJUE « une période de garde sous régime d’astreinte, bien qu’elle n’impose pas au travailleur de demeurer sur son lieu de travail, doit également être qualifiée, dans son intégralité, de « temps de travail », au sens de la directive 2003/88, lorsque, en considération de l’impact objectif et très significatif des contraintes imposées au travailleur sur les possibilités, pour ce dernier, de se consacrer à ses intérêts personnels et sociaux, elle se distingue d’une période au cours de laquelle le travailleur doit uniquement être à la disposition de son employeur afin que ce dernier puisse le joindre ».

En synthèse :

      • si le salarié peut planifier ses occupations personnelles et sociales, car il dispose d’un certain délai pour intervenir, alors la période d’astreinte n’est pas « temps de travail » au sens de la directive précitée ;
      • si le délai imposé au salarié pour se remettre au travail est court et qu’en outre, il est amené à effectuer plusieurs interventions successives, alors cette période est du « temps de travail ».

Tirant les conséquences de cette décision, la Cour de cassation a rendu un arrêt le 26 octobre 2022 dans lequel  elle s’y réfère expressément pour casser l’arrêt d’appel ayant débouté un salarié de sa demande de rappel de salaire au titre des périodes d’astreintes, en se référant notamment à la convention collective des dépanneurs.

Elle a reproché aux premiers juges de n’avoir pas vérifié « si le salarié avait été soumis, au cours de ses périodes d’astreinte, à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles ».

Si la réponse à cette question est positive, la période d’astreinte hors intervention devra impérativement être décomptée comme temps de travail et rémunérée comme telle.

Tout dépendra des circonstances de fait et du degré de sujétion imposé aux salariés : l’éloignement du domicile, la possibilité d’organiser des activités de loisir, le délai pour intervenir et le nombre, ainsi que la fréquence des interventions.

La loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 prévoit en son article 5 la faculté pour les salariés de monétiser tout ou partie de leurs journées ou demi-journées de repos.

Le gouvernement a publié son mode d’emploi le 27 octobre 2022.

Qui ?

Les salariés bénéficiant de journées ou demi-journées de repos en application d’un accord collectif instituant un dispositif de réduction du temps de travail.

Les salariés bénéficiant de jours de repos conventionnels dans le cadre des articles L. 3121-41 à L. 3121-47 du code du travail.

Exclusions :

Ne concerne pas les salariés en forfait en jours ; ni ceux dont les jours de repos déposés sur un CET.

Modalités :

Cette possibilité concerne tous les jours RTT issus d’un aménagement du temps de travail institué par accord ou unilatéralement, d’un cycle ou d’une modulation.

Le salarié peut renoncer à tout ou partie de ses JRTT acquis à partir du 1er janvier 2022 et jusqu’au 31 décembre 2025

Aucun formalisme n’est prévu mais il est conseillé de privilégier l’écrit.

L’employeur peut refuser tout ou partie de la demande.

Régime social et fiscal :

Les heures accomplies du fait de la monétisation des JRTT ne sont pas imputées sur le contingent d’heures supplémentaires et ne se voient appliquer que la majoration pour la 1ère heure soit 25%.

Le régime social de cette monétisation est le suivant :

  • réduction des cotisations salariales d’assurances vieillesse ;
  • déduction forfaitaire des cotisation patronales à hauteur de 1,5 € pour les entreprises de moins de 20 salariés.

Pour l’exonération de cotisations salariales d’assurance vieillesse, la rémunération à prendre en compte est celle du jour de repos auquel le salarié renonce, en tenant compte des majorations associées.

La monétisation ouvre droit au bénéfice des dispositifs d’exonération d’impôt sur le revenu applicables aux heures supplémentaires et ce dans la limite de 7 500 €.

En cas de contrôle, l’employeur doit pouvoir justifier  de la demande du salarié et de son accord.

Dans un arrêt du 13 octobre 2022 n°C‑344/20 rendu sur question préjudicielle du tribunal du travail de Bruxelles et au visa de la directive 2000/78 ayant pour objet de lutter contre les discriminations, la CJUE encadre la mise en œuvre du principe de neutralité.

Il avait été demandé à une candidate à un stage en Belgique de respecter la clause de neutralité du « règlement de travail » de l’entreprise selon laquelle « les travailleurs s’engagent à respecter la politique de neutralité stricte qui prévaut au sein de l’entreprise » et « veilleront à ne manifester  en aucune manière, ni en paroles, ni de manière vestimentaire, ni d’aucune autre manière, leurs convictions religieuses philosophiques où politiques quelles qu’elles soient. ».

Elle portait le voile et a refusé. N’ayant pas été retenu pour le stage et l’entreprise lui ayant signifié qu’aucun couvre-chef n’étant accepté en ses locaux, elle a signalé une discrimination auprès de l’organisme public en charge de la lutte contre celles-ci.

Parmi les questions dont été saisie la CJUE figurait la suivante : l’interdiction du port d’un signe ou d’un vêtement connoté, contenue dans le règlement de travail de S.C.R.L., constitue une discrimination directe fondée sur la religion. (c.f communiqué de presse 167/22 de la CJUE)

La Cour prend le soin de rappeler que toute personne étant susceptible d’avoir une religion, des convictions religieuses, philosophiques ou spirituelles, une telle règle n’instaure pas de différence de traitement fondée sur la religion, en elle-même et n’est pas une discrimination directe.

En revanche, cette règle serait susceptible de constituer une discrimination indirecte, s’il est établi qu’elle aboutit  « en fait, à un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données. »  (cf. communiqué précité)

La Cour donne deux guidelines claires, mais la seconde est difficile à mettre en œuvre :

-d’une part, la clause de neutralité ne doit pas viser spécifiquement les religions, mais viser tout signe permettant d’afficher des convictions quelles qu’elles soient (cf. CJUE, 15 juill. 2021, affaires n° C-804/18 et C-341/19) ;

-d’autre part, il faut que la mesure soit « objectivement justifiée par un objectif légitime », les moyens d’y parvenir « appropriés et nécessaires (…) » et « la volonté d’un employeur d’afficher, dans les relations avec les clients tant publics que privés, une politique de neutralité politique, philosophique ou religieuse [puisse être]considérée comme légitime.« .

Il appartient donc à ce dernier de démontrer un objectif légitime, fondé sur un besoin véritable.

Comment le déterminer ?

Selon la Cour : « la volonté d’un employeur d’afficher, dans les relations avec les clients tant publics que privés, une politique de neutralité politique, philosophique ou religieuse peut être considérée comme légitime. ».

Mais cela ne suffit pas : « le caractère objectif d’une telle justification ne pouvant être identifié qu’en présence d’un besoin véritable de cet employeur, qu’il lui incombe de démontrer ».

A l’employeur d’en rapporter la preuve et de le caractériser.

Ce ne sera pas une mince affaire…