La bonne foi et la loyauté à géométrie variable
Le 1er février 2023, la Cour de cassation a rendu un arrêt (n° 21-20.526) aux termes duquel elle confirme la décision d’appel ayant jugé dénuée de cause la révocation d’un salarié de la RATP qui durant un long arrêt maladie, à la suite d’une agression, avait participé à 14 compétitions de badminton !
La motivation est la suivante :
« L’exercice d’une activité, pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie, ne constitue pas en lui-même un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt. Dans un tel cas, pour fonder un licenciement, l’acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer préjudice à l’employeur ou à l’entreprise.
Ce préjudice ne saurait résulter du seul maintien intégral du salaire, en conséquence de l’arrêt de travail, assumé par l’employeur qui assure lui-même le risque maladie de ses salariés. ».
Personne n’ignore le caractère exigeant d’un sport tel que le badminton, qui pour être pratiqué à haut niveau nécessite une excellente condition physique.
Or, dans le cas présent, l’opérateur de contrôle de la RATP avait cumulé plus de 180 jours d’arrêt maladie pour des blessures aux bras, mais avait pu participer à nombre de compétitions sportives de haut niveau…
Cette jurisprudence trouve sa source dans la protection de la vie personnelle du salarié, y compris sur le lieu de travail, telle qu’entendue très largement par la CEDH, notamment au terme de son arrêt Niemetz du 16 décembre 1992 (n°13710/88) dans lequel elle considère que cette vie personnelle doit être entendue largement et inclus les activités professionnelles ou commerciales.
S’il est normal que l’obligation de loyauté protège les salariés contre l’arbitraire de l’employeur (notamment pour préserver les droits fondamentaux du salarié), il est légitime de s’interroger sur une conception aussi extensive, très éloignée de son fondement de bonne foi, et qui n’a pas « la même intensité » selon qu’elle s’applique à l’un ou à l’autre des contractants (Ph. Waquet, « Vie privée, vie professionnelle et vie personnelle », Dr. soc. 2010, p. 14.).
Comme le souligne dans sa thèse notre Consœur Madame Léa Amic, ( « La loyauté dans les relations de travail », sous la direction de Monsieur le Professeur Frank Petit, 19 décembre 2014) la loyauté est réduite « à l’effet objectif des conséquences d’un éventuel manquement » et octroie une certaine « immunité au travailleur pour les faits relevant de sa vie privée ».
Que penser d’un salarié qui se livre à des activités ou des déplacements qui montrent clairement qu’il est dans un état de santé lui permettant de travailler, de sorte que l’arrêt maladie paraît totalement injustifié ?
Dans sa recherche de l’équilibre entre protection des libertés et droits fondamentaux, devoir de loyauté et obligations professionnelles, le juge a perdu de vue la notion de bonne foi, inhérente à toute relation contractuelle et énoncée à l’article L. 1222-1 du Code du travail.
Cette décision est révélatrice de son obsession de voir le salarié comme la partie faible, du fait du lien de subordination, ce qui la conduit à concevoir une bonne foi à géométrie variable, entendue de manière bien plus stricte pour l’employeur.