La nouvelle protection des lanceurs d’alerte
La directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 relative « à la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union » a été transposée par la loi n°2022-401 du 21 mars 2022 « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte ».
La loi entrera en vigueur le 1er septembre 2022.
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Définition du lanceur d’alerte
Article 6-1-I de la loi :
« Un lanceur d’alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international (…) ».
Sont inclus le salarié ou le représentant au CSE qui, de bonne foi, alerte sur des atteintes faisant peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement.
Exclusions :
Le secret de la défense nationale, le secret médical, le secret des délibérations judiciaires, de l’enquête ou de l’instruction judiciaire et le secret professionnel de l’avocat.
Extensions :
Bénéficient de la protection les
– les personnes définies comme « facilitateurs » ;
– les personnes en lien avec le lanceur d’alerte pouvant faire l’objet de rétorsion dans le cadre de leurs activités professionnelles ;
– les entités juridiques contrôlées par le lanceur d’alerte, pour lesquelles il travaille ou avec lesquelles il est en lien.
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Obligation de mettre en place un mécanisme de recueil et traitement de l’alerte
Les entreprises ayant plus de 50 salariés et les administrations ayant plus de 50 agents sont tenues de mettre en place une procédure de recueil et de traitement des signalements après consultation des IRP.
La procédure de recueil et de traitement des alertes peut être commune à plusieurs des sociétés d’un groupe, selon des conditions qui seront fixées par décret.
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Modification du règlement intérieur des entreprises
Les entreprises ayant l’obligation d’édicter un règlement intérieur devront y rappeler l’existence du dispositif de protection des lanceurs d’alerte mis en place (Loi, art. 4 ; C. trav., art. L. 1321-2).
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Procédure d’alerte
L’article 7-1 la loi prévoit une procédure de signalement comportant 3 degrés, étant entendu que le salarié peut désormais saisir au choix les deux premiers canaux d’alerte, le troisième (la divulgation publique) étant subordonnée à certaines conditions :
Signalement interne :
Il peut être effectué par les membres du personnel et anciens membres, ou candidats à l’embauche, les actionnaires, les associés et les titulaires de droit de vote à l’assemblée générale, les membres du conseil d’administration, de direction ou de surveillance, les collaborateurs extérieurs et occasionnels, les cocontractants et sous-traitants et membres de leur direction.
En l’absence de procédure interne, les personnes physiques peuvent s’adresser à leur N+1, l’employeur, ou son référent.
Les entreprises d’au moins 50 salariés sont tenues d’établir, après consultation des représentants du personnel, une procédure interne de recueil et de traitement des signalements.
Signalement externe :
Il est effectué soit après un signalement interne, soit directement.
Il s’adresse :
- à l’autorité compétente parmi celles désignées par décret qui fixera aussi les garanties d’indépendance et d’impartialité de la procédure (N.B : ces autorités devront adresser un rapport annuel rendant compte de leurs actions au Défenseur des droits) ;
- au Défenseur des droits qui l’oriente vers la ou les autorités les mieux à même d’en connaître ;
- à l’autorité judiciaire ;
- à une institution, un organe ou un organisme de l’Union européenne compétent pour recueillir des informations sur des violations relevant du champ d’application de la directive 2019/1937 du 23 octobre 2019.
Divulgation publique
Une divulgation publique sera possible dans 3 cas :
– après avoir effectué un signalement externe, précédé ou non d’un signalement interne, sans qu’aucune mesure appropriée n’ait été prise en réponse ;
– en cas de danger imminent ;
– si la saisine d’une autorité fait encourir à son auteur un risque de représailles ou qu’elle ne permettrait pas de remédier efficacement à l’objet de la divulgation, notamment en cas de dissimulation ou de destruction de preuves ou si l’auteur du signalement a des motifs sérieux de penser que l’autorité peut être en conflit d’intérêts, en collusion avec l’auteur des faits ou impliquée dans ces faits.
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Protection
L’article 7 de la loi insère un article L. 1121-2 dans le Code du travail :
«Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ni faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, (…), de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d’horaires de travail, d’évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat, ni de toute autre mesure (…) pour avoir signalé ou divulgué des informations dans les conditions prévues aux articles 6 et 8 de la même loi. ».
Cette protection est essentiellement la suivante :
- Les éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte ne peuvent être divulgués qu’avec le consentement de celui-ci ;
- les signalements ne peuvent être conservés que le temps strictement nécessaire et proportionné à leur traitement et à la protection de leurs auteurs, des personnes qu’ils visent et des tiers qu’ils mentionnent, en tenant compte des délais d’éventuelles enquêtes complémentaires ;
- l’auteur de l’alerte n’est pas civilement responsable des dommages causés du fait de leur signalement ou de leur divulgation publique s’il avait des motifs raisonnables de croire que ce signalement était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause ;
- Il bénéficie également de l’irresponsabilité pénale prévue à l’article L. 122-9 du Code pénal ;
- le lanceur d’alerte qui soustrait, détourne ou recèle les documents ou tout autre support contenant les informations dont il a eu connaissance de manière licite n’est pas pénalement responsable ;
- les personnes auxquelles sont applicable l’article L. 1121-2 du Code du travail, ne peuvent faire l’objet d’aucune mesures de représailles telles que menaces ou de tentatives de sanction.
L’article 6 de la loi dresse un inventaire de ces mesures de représailles telles que :
– mesures disciplinaires de toute nature, suspension, licenciement, rétrogradation ou refus de promotion, transfert de fonctions, changement de lieu de travail, réduction de salaire, modification des horaires etc. ;
– coercition, intimidation, harcèlement ou ostracisme, discrimination, traitement désavantageux ou injuste, atteintes à la réputation ;
– non-conversion d’un contrat temporaire ou CDD en un contrat permanent, ou résiliation anticipée ;
– mise sur liste noire sur la base d’un accord formel ou informel à l’échelle sectorielle ou de la branche d’activité ;
– résiliation anticipée ou annulation d’un contrat de prestation de services, annulation d’une licence ou d’un permis, etc.
Toute mesure de représailles prise à l’encontre d’un lanceur d’alerte ou d’une personne bénéficiant de la même protection est nulle de plein droit.
A l’occasion de tout litige, le conseil des prud’hommes peut, en complément de toute autre sanction, obliger l’employeur à abonder le compte personnel de formation du salarié ayant lancé l’alerte jusqu’à son plafond mentionné à l’article L. 6323-11-1 du code du travail.
On pourra noter qu’il n’y a aucune condition relative à la « gravité » de la violation dénoncée ou à son caractère « manifeste ».
Or, s’il parait indispensable de protéger les lanceurs d’alerte, comme le souligne notre confrère LAGESSE (in Semaine sociale Lamy n° 1982 10 janvier 2022) « l’objet de l’alerte semble illimité », ce qui engendre un risque pour les entreprises, notamment d’instrumentalisation de la part des salariés ou élus.