Recevabilité de la preuve déloyale, la fin du « off » ?
Le 22 décembre 2023, l’Assemblée plénière a rendu deux décisions sur la preuve « déloyale » opérant un revirement attendu sur la recevabilité d’une telle preuve.
Dans la 1ère affaire, l’employeur avait enregistré le salarié, à son insu, lors d’un entretien informel et avait utilisé cet enregistrement pour fonder le licenciement pour faute du salarié.
Dans la 2nde affaire, un salarié avait était licencié en raison des propos à caractère homophobe qu’il avait publiés sur son compte Facebook personnel, propos qui avaient été transmis à l’employeur par un intérimaire. Ce dernier avait pu se connecter sur la session Facebook du salarié qui n’avait pas fermé la page d’accès à son compte.
Les premiers juges avaient considéré que ces preuves étaient déloyalement obtenues et donc irrecevables.
Dans la 1ère espèce, l’Assemblée plénière a censuré la Cour d’appel au motif suivant : « Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. ».
Cette décision trouve sa source dans la jurisprudence de la CEDH qui instaure un véritable droit à la preuve, sur le fondement de l’article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH, 10 oct. 2006, L.L. c/ FRANCE, n°7508/02).
Le communiqué de la Cour de cassation souligne qu’il importe « de ne pas priver un justiciable de la possibilité de faire la preuve de ses droits, lorsque la seule preuve disponible pour lui suppose, pour son obtention, une atteinte aux droits de la partie adverse. »
Il y a fort à craindre que cette décision signe la fin du « off » et ne permette plus d’explication franche entre employeurs et salariés. Dorénavant tous les entretiens importants risquent d’être entachés d’une grande méfiance.
Dans la 2nde affaire, en revanche, l’Assemblée plénière a estimé que les juges du Fonds n’avaient pas à s’interroger sur la valeur de la preuve provenant de la messagerie privée Facebook.
En effet, elle rappelle qu’il n’est pas possible de licencier pour faute un salarié pour un motif qui relève de sa vie personnelle, sauf si ce motif constitue un manquement à ses obligations professionnelles.
Or cette conversation privée n’avait pas vocation à être rendue publique et ne pouvait constituer un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail.
(Cass. Ass. Plén. 22 décembre 2023, n°21-11.330 et n°20-20.648)